Écrit par : Platon
Titre : Phèdre
Date de parution : 1983
Éditeur : Les Belles Lettres
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Platon, Phèdre [Œuvres complètes, t. IV, 3], Les Belles Lettres, Paris, 1983, CLXXXVII + 99 pp.
Le jeune Phèdre est admiratif devant un discours de Lysias, où le célèbre orateur prétend, arguments à l’appui, qu’il vaut mieux se donner à quelqu’un qui n’aime pas, plutôt qu’à un amoureux. Pour faire plaisir à son interlocuteur, Socrate abonde d’abord dans son sens, avant de se raviser, semoncé par son fameux démon intérieur. Conscient alors d’avoir péché contre le dieu Amour, le philosophe entame une palinodie, un «contre-chant» : il rend hommage à l’Amour qui rend fous les hommes, de raisonnables qu’ils étaient – un vrai éloge de la folie !
«Le fait est que, parmi nos biens, les plus grands sont ceux qui nous viennent par l’intermédiaire d’un délire, dont à coup sûr nous dote un don divin. […] Les hommes qui, dans l’Antiquité, instituaient les noms ne tenaient pas le délire, man…a [“manie”, “folie”], pour une chose honteuse, non plus que pour un opprobre. Autrement, ils n’auraient pas en effet, enlaçant ce nom-là au plus beau des arts, à celui qui permet de discerner l’avenir, appelé celui-ci manik», l’art délirant ! Mais c’est parce qu’ils regardaient le délire comme une belle chose, toutes les fois qu’il provient d’une dispensation divine, c’est pour cela qu’ils instituaient cette dénomination. Les modernes qui, au contraire, n’ont pas le sens du beau, y ont introduit le t et l’ont appelé mantik» [“mantique”], l’art divinatoire. […] Le délire est par sa beauté, les Anciens en témoignent, supérieur à la sagesse, le délire qui vient du dieu, à la sagesse dont les hommes sont les auteurs !» (244b à d) Saint Paul, plus de quatre siècles plus tard, ne dira pas autre chose : «La folie de Dieu a plus de sagesse que les hommes» (I Corinthiens, 1, 25). Le Phèdre offre aussi la célèbre comparaison de la yuc» avec un attelage, image qui en fait, selon les anciens commentateurs, remonte à Homère : «Cette image donc est celle de je ne sais quelle force active naturelle, qui unit un attelage et un cocher, soutenus par des ailes. Cela étant, les Dieux ont des chevaux, des cochers qui, tous, sont eux-mêmes bons, composés de bons éléments, tandis que, pour le reste des êtres, il y a du mélange. Pour nous, c’est, premièrement, d’un attelage apparié que le conducteur est cocher ; ensuite, des deux chevaux, l’attelage en a un qui est beau, bon et formé de tels éléments, tandis que la composition de l’autre est contraire, et contraire sa nature. Il s’ensuit que, dans notre cas, c’est nécessairement un métier difficile et ingrat que celui de cocher ! (246a et b) «Nous avons dans chaque âme [yuc»] distingué trois sortes de choses : il y en a deux qui sont du type cheval, tandis que la troisième a fonction de cocher […]. Et maintenant, de ces chevaux l’un, disons-nous, est bon, non pas l’autre ; mais en quoi consiste l’excellence du bon ou, chez le vicieux, son vice, c’est ce que nous n’avons pas expliqué et qu’à présent nous avons à dire. Eh bien ! le premier des deux, et qui est celui dont plus belle est la condition, a le port droit ; il est bien découplé, il a l’encolure haute, la ligne du chanfrein légèrement courbe ; son pelage est blanc, ses yeux, noirs ; il est amoureux d’une gloire qu’accompagnent modération et réserve ; comme il est compagnon de l’opinion vraie, pour être conduit il n’a pas besoin qu’on le frappe : c’est assez d’un encouragement ou d’une parole. Le second, par contre, est de travers, massif ; il est bâti on ne sait comment ; il a l’encolure épaisse, la nuque courte, le masque camard ; sa couleur est noire et ses yeux gris, sa complexion plutôt sanguine ; compagnon de la démesure et de la gloriole, ses oreilles, pleines de poil, sont sourdes et c’est à peine si le fouet garni de pointes le fait obéir.» (253c à e) Quelques autres extraits : «Nous nous forgeons, sans en avoir ni expérience ni suffisante intellection, une idée du dieu : un vivant immortel qui possède une âme, qui possède aussi un corps, mais tous deux naturellement unis pour une éternelle durée [nous soulignons].» (246c et d) «Comme il [l’initié] s’écarte [™xist£menoj] des objets où tend le zèle des hommes et qu’il s’attache à ce qui est divin, la foule lui remontre qu’il a la tête à l’envers, alors qu’il est possédé d’un dieu ; mais la foule ne s’en rend pas compte !» (249c et d) N’est-ce pas ce qu’écrit l’auteur du Message Retrouvé ? «Ô mon Seigneur… me voilà balayé, marchant sur la tête, toute ma raison sombrée et titubant comme un ivrogne au grand scandale des bien-pensants qui me regardent avec mépris» (XXXVII, 8’) «Que d’autre part il s’élève à son sujet [au sujet de tout écrit] des voix discordantes et qu’il soit injustement dédaigné, il a toujours besoin de l’assistance de son père : à lui seul, en effet, il n’est capable, ni de se défendre, ni de s’assister lui-même.» (275e, cf. 277c) Cette notion est absolument conforme à celle de la Torah orale indispensable à l’éclaircissement de la Torah écrite, l’une et l’autre héritées de Moïse. Enfin, l’Amour ayant le «pouvoir de faire pousser des plumes» (252b), Platon donne une description saisissante de ce phénomène physique (cf. 251b et ss.) que le poète latin Horace, par exemple, déclare connaître par expérience personnelle (voir Odes, II, 20).
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