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  • Johann Reuchlin | La Kabbale (De arte cabalistica) | Milan, Archè, 1995
Écrit par : Johann Reuchlin
- François Secret (trad.)
Titre :  La Kabbale
(De arte cabalistica)
Date de parution : 1995
Éditeur : Archè

 

Johann Reuchlin, La Kabbale, introduction, traduction et notes François Secret, Archè, Milan, 1995, 376 + LXXX (en réalité CLX) pp.

Dédié au pape Léon X et publié en 1517, l’ouvrage est le plus célèbre de tous ceux que Reuchlin a rédigés.

Trois hommes se rencontrent dans une auberge à Francfort : Simon, juif expert en cabale, le pythagoricien Philolaos, Marrane, mahométan converti au christianisme. Les deux derniers soumettent au premier plusieurs questions concernant la cabale :

«Qu’est-ce qui a été révélé, qui l’a reçu, quel avantage apporte sa réception, quelle est la méthode de cet art par lequel, comme le bruit en court, on fait des miracles ?» (p. 46)

Le premier des trois livres est consacré principalement à la promesse messianique, qui constitue l’objet de la cabale. Selon la lecture proposée de la Torah, cette promesse fut faite d’abord au premier homme, puis à son fils Seth, ensuite à leurs descendants, entre autres Noé, aux patriarches Abraham, Isaac, Jacob, à Moïse, David et Salomon, enfin à tous les prophètes vétéro-testamentaires.

Le deuxième livre est entièrement consacré à la doctrine pythagoricienne, présentée comme héritière directe de la cabale juive : «Toutes les doctrines des cabalistes et des pythagoriciens sont de même nature. Cabalistes et pythagoriciens ramènent en effet toute notre recherche au salut du genre humain.» (p. 121) «C’est la même méthode chez les cabalistes et chez Pythagore de transmettre, la même façon d’exercer par des symboles, des notes, des syllabes et des mots.» (p. 202)

Le troisième parle plus spécifiquement des différentes méthodes appliquées par les cabalistes dans l’exégèse des Écritures (notaricon, guématrie, témourah, etc.). Ce dernier livre, surtout, s’adresse plus particulièrement à des lecteurs ayant des notions d’hébreu ; sans un minimum de connaissance de cette langue, bien des exemples ou commentaires risquent de leur poser des problèmes de compréhension : «Cet art ne supporte pas du tout la traduction dans le langage d’un autre peuple. Et si je n’avais pas su que vous êtes également savants en hébreu, c’est en vain que j’aurais traité avec vous ces sujets de cabale.» (p. 269)

Bien des hébraïsants se sont imaginé “pratiquer la cabale” en appliquant les méthodes divulguées ici par Reuchlin, alors que ce ne sont pas ces méthodes qui font le cabaliste, mais que c’est le cabaliste qui sait comment se servir correctement de ces méthodes : «Si nous ne tenions en mains les révélations des Anciens, que vous jugez avec raison ne pas relever d’un art, tout le monde aurait licence, quoique témérairement, d’expliquer et de traduire la sainte Écriture dans le sens que chacun voudrait. C’est ce que certains sophistes vulgaires font, comme nous l’avons appris, au point d’avoir paru en ce temps vouer presque, par leurs syllogismes, au mépris public ces très saints oracles de l’Esprit Saint divin. Mais maintenant, puisque toutes choses, comme je l’estime, doivent être appuyées à la révélation, on tire une ligne, en deçà ni au-delà de laquelle le bien ne peut se trouver. Il ne faut pas que ce qui relève de l’art tourne, par l’opération des pires hommes, à l’ignorance de l’art.» (p. 257)

La traduction de François Secret est généralement excellente et agréable à lire. Nul n’était plus qualifié que lui pour l’entreprendre et pour l’achever. L’ouvrage contient aussi des index et le texte original latin.

Voici quelques perles :

«On lit dans les Chapitres des patriarches : Mose kibel [“Moïse reçut”]. Moïse entendit et reçut la Loi de Sinaï. C’est pourquoi “cabale” signifie “action de recevoir par l’ouïe”. Il faut le remarquer et le confier, je pense, à sa mémoire : parmi une telle multitude, où il y avait tant de saints, c’est Moïse qui fut choisi pour recevoir, de la bouche de Dieu, la connaissance du vrai et du juste. Lui seul, et nul autre. […] Sans la cabale, qui est nécessaire au genre humain, et qui lui fut accordée par le Ciel, nul ne peut obtenir cette saisie si rare, si difficile, des réalités divines, qui ne sont soumises ni aux argumentations de la raison des mortels, ni aux épineuses disputes de vains mots, ni aux syllogismes des hommes, en raison de leur divinité. (p. 44)

«S’il en est ainsi dans les travaux humains, qui sont comme ordinaires et communs, où l’on reçoit par tradition et où l’on se fie à ceux qu’on tient pour avoir excellé dans leur art, irons-nous penser qu’il faut mépriser la tradition des saints hommes dans la science des réalités divines les plus hautes, que nous pouvons à peine atteindre, et encore un ou deux, par nos propres forces ? On l’appelle “cabale” en hébreu. La cabale est en effet la réception symbolique de la révélation divine, transmise pour permettre la contemplation de Dieu et des formes séparées, qui assure le salut. Ceux qui l’ont eue en partage par une inspiration du Ciel, s’appellent proprement “cabaliques”.» (p. 45)

«Je dirai plutôt quelle est la révélation première, principale et universelle, et à quoi se réduisent et se rapportent les révélations divines particulières. […] Ce n’est à vrai dire rien autre que la restauration de tout le genre humain après la ruine première. Nous l’appelons “yesu’ah” [“salut”], et les Latins “salus”. C’est la première de toutes les révélations qui ait été faite à notre espèce.» (p. 48)

«J’expliquerai le discours particulièrement obscur tenu [après l’acte du péché originel] par le Créateur aux anges dans le sanctuaire de sa divinité. Dieu dit en effet (Genèse III, 22) : “Voici qu’Adam est comme l’un de nous” […]. Quel est donc le sens de ce que Dieu a dit : “Voici qu’Adam est comme l’un de nous” ? Nous conjecturons par là qu’il y a un premier Adam, Adam céleste, qui fut montré aux anges au Ciel, venu de Dieu, qui l’avait fait par son Verbe, et un second Adam, Adam terrestre, repoussé par Dieu, qui l’avait formé de ses mains à partir de la boue, puis expulsé du jardin. Le premier est un avec Dieu, le second est non seulement différent mais encore un autre, et autre chose que Dieu. Ainsi, après la chute misérable du genre humain, Dieu enseigna à ses anges qu’il se ferait un jour une restitution du salut. Par qui elle viendrait, il l’enseigna, non autant qu’il pouvait l’enseigner, mais autant que le pouvait recevoir la condition angélique. Il montra pour le moment présent qui rachèterait le genre humain. Le salut des hommes avait été alors en effet parfaitement prédestiné. Aussi Dieu dit : Voici, c’est cet Adam, qui est essentiellement, non seulement depuis la naissance du monde et depuis votre naissance, mais qui, encore avant toute création, dans l’éternité fut l’un de nous, avant que fut fait le temps. C’est ce qu’Onkelos a interprété ainsi en chaldaïque : “Voici qu’Adam fut mon unique fils, ou mon unique dans l’éternité à partir de moi-même”.» (p. 53)

«C’est cette révélation si sainte et si sublime, où se réduisent toutes les révélations divines, cette tradition tant souhaitée, cette très salutaire révélation, à quoi se ramènent toutes les traditions cabalistiques, où toutes les traditions des réalités divines, toutes les connaissances célestes, les visions des prophètes et les méditations des bienheureux s’unissent et communient.» (p. 55)

«Nous ne saurions correctement définir le Talmud autrement que comme une explication de la Loi selon l’intention de son auteur [Moïse].» (p. 77)

«Ils [les cabalistes] disent ainsi : L’intention de toute la Loi consiste en deux choses, la bonne disposition de l’âme et la bonne disposition du corps. Car toute la Loi tend principalement à la perfection de l’homme. En la suivant, nous acquérons deux perfections, l’une de la mens [“âme”, “esprit”], et l’autre du corps.» (p. 78)

«C’est la raison pourquoi nous [cabalistes] disputons fort souvent avec les talmudistes, et que eux et nous divergeons le plus d’opinion. Eux, ils s’efforcent de ramener toute la libération par laquelle le Roi Messie nous délivrera de notre captivité, ou plus véritablement de notre dispersion corporelle [la diaspora], à une explosion militaire, au fracas des armes, à des expéditions guerrières, à des prises d’assaut, à des dévastations de territoires, et à la victoire de l’armée d’Israël […]. Nous au contraire, et à mon avis plus correctement, nous pensons à la façon cabalistique que le Messie viendra pour libérer les malheureux mortels du genre humain des liens de l’injustice originelle, pour faire remise des péchés, et pour sauver les âmes de ceux qui servent Dieu avec piété, et qui en Adam notre père avaient été exclus de la vie éternelle, jusqu’à ce que le Messie en fasse réparation.» (pp. 85 et 86)

«J’estime que le syllogisme de la logique nous trahit, c’est le pire ennemi qui est à l’affût de la connaissance divine, qui consiste en foi pure et nue. Dans l’emploi qu’ont osé en faire les théosophistes, le syllogisme soumet à l’homme mortel Dieu et les anges, les esprits bienheureux, les très simples vertus du monde ultra-mondain, tout l’ensemble de l’armée de l’éternité et tout ce qui fut jamais dans l’histoire des réalités surnaturelles, en voulant trouver, prouver et diriger tout par le raisonnement. C’est comme s’il tentait d’enfermer ces substances si resplendissantes dans quelque prison.» (p. 110)

«Selon moi, Pythagore n’a pas mal transformé dans le symbole grec de la Tétractys le Tétragramme des juifs, ou plutôt les quatre lettres dont se compose le Nom du Sauveur.» (p. 130)

«Pythagore a dit : “Les hommes sont de race divine, la nature sacrée qui les promeut leur montre ouvertement toutes choses”. Car cette nature sacrée est l’âme intellective. C’est donc en suivant l’intellect que l’homme accède à Dieu.» (p. 141)

«Quant à la mens [“esprit”, “intellect”] même de Dieu, Pythagore l’appela allégoriquement “nombre”, quand il dit que le nombre était le principe de tout. Plutarque entend le nombre pour l’intelligence (mens). Le symbole convient, car dans les réalités incorporelles rien n’est plus simple que le nombre. On ne peut rien concevoir de plus semblable à la mens.» (p. 165)

«La pyramide en est composée qui a 4 bases et 4 angles égaux. Elle a la forme du feu, le plus subtil et le plus mobile des éléments. C’est la lumière (lux) essentielle sans matière, séparée, très proche de Dieu, et la vie éternelle.» (p. 168)

«Nous voyons donc découler d’une seule source les principes jumeaux des choses temporelles, la pyramide et le cube, c’est-à-dire la forme et la matière. Nous les voyons provenir du même carré, dont l’idée, comme nous l’avons montré auparavant, est la Tétractys, le divin exemplaire de Pythagore. J’ai donc expliqué le plus brièvement que j’ai pu les symboles primordiaux qui, en fait, ne désignent rien autre que la matière et la forme.» (pp. 177 et 178)

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