Écrit par : André Alciat
Titre : Les Emblèmes
Date de parution : 2016
Éditeur : Les Belles Lettres
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André Alciat, Les Emblèmes, Les Belles Lettres, Paris, 2016, XL + 280 pp.
Les Belles Lettres ont eu l’excellente idée de publier un ouvrage emblématique dans tous les sens du terme. André Alciat (1492-1550), né à Alzate dans la province de Côme, juriste et collectionneur d’antiquités, est en effet l’inventeur de l’emblème, combinaison particulière d’une image et d’une épigramme descriptive qui, de plus, en explique le sens symbolique.
Rédigés bien sûr en latin, les Emblemata furent publiés pour la première fois en 1531 à Augsbourg. Ils augmentèrent peu à peu en nombre, jusqu’à atteindre celui de 212 dans les premières éditions complètes, parues à Lyon (1548-1551). Nous n’entrerons pas dans les détails de la naissance de l’emblème dont Monsieur Pierre Laurens, dans une Préface très soignée, analyse les caractéristiques. L’emblème présente souvent des points communs avec la devise, l’épigramme, la fable, sans se confondre avec elles. Le traducteur y présente l’ouvrage d’Alciat comme «une œuvre de pur divertissement» dont les éléments constitutifs, généralement empruntés à l’Antiquité, sont convertis «à la morale humaniste» (p. IX). En effet, l’auteur conclut généralement la description de l’image par une leçon morale ou éducative. Ainsi, l’élan qui illustre l’Emblème 3, animal dont Pline l’Ancien note la vélocité, incarne le dicton «ne jamais rien remettre à demain» ; dans l’Emblème 5, le mythique Cécrops, fils de la Terre, incarne les hommes «sans religion, et voués seulement aux choses de la terre» ; dans l’Emblème 10, la guitare bien accordée représente l’harmonie souhaitée entre les princes italiens ; etc. Mais est-ce là tout ce qu’Alciat a à proposer ? Sa renommée, déjà acquise de son vivant, est-elle uniquement celle d’un moraliste ? D’ailleurs, les leçons morales semblent souvent à ce point tirées par les cheveux, qu’on ne peut s’empêcher ou de froncer les sourcils ou de sourire. Comment le légendaire Minotaure caché dans le labyrinthe, dont on orne les enseignes militaires, suggérerait-il le seul conseil de «bien dissimuler sa stratégie» (Emblème 12) ? Et si la déesse vierge Pallas est représentée avec un dragon à ses pieds, serait-ce uniquement pour nous signifier que «d’un œil très vigilant il faut garder les filles nubiles» (Emblème 22) ? L’apparente platitude des explications laisse souvent le lecteur sur sa faim. L’auteur semble presque se moquer de ceux que cette exégèse-là contenterait… Nous devons à un contemporain d’Alciat une approche nettement plus intéressante des Emblèmes. En commentant Le Grand Olympe, poème d’inspiration alchimique, Pierre Vicot reproduit souvent les vers d’Alciat pour en indiquer le vrai sens, hermétique celui-là. Citons un extrait de ces commentaires : «Lesquels sages s’étudiaient à allégories pour cacher la science, ainsi comme nous trouvons dans toutes les allégories, emblèmes et similitudes d’iceux.Les livres desquels ont été mutilés par les mondains, ainsi comme nous avons vu, même de notre temps, ceux de maître André Alciat, à l’exemple de tant d’autres qui nous ont précédés ; et ce, pour complaire aux vaines curiosités, aux hommes et courtisans de ce temps, à leur fournir devises et questions. Lequel livre de bigarrures [c.-à-d. emblèmes], fait [c.-à-d. dédié] à maître Conrad, avons ainsi vu devant nos yeux mutiler par un certain secrétaire du Cardinal de Givry, dédié au Seigneur Chabot, renversant partie du sens d’icelui, et le tout conformant au sens et usances mondaines.» Commenter le sens alchimique des Emblèmes dépasserait le cadre de ce compte-rendu ; nous devons nous contenter d’attirer l’attention du lecteur sur ce point non négligeable. La traduction versifiée, proposée par Monsieur Laurens, est élégante et souvent précise. Les notes, de la main de Madame Florence Vuilleumier Laurens, sont utiles ; elles concernent avant tout les sources où Alciat a puisé son sujet. Un fac-similé de la page correspondante de l’édition 1551 accompagne chaque Emblème, de sorte qu’il est possible de consulter le texte latin original et, bien sûr, de savourer l’illustration concernée. Signalons au moins deux détails méritant peut-être un traitement différent, ou un éclaircissement : - La traduction de l’Emblème 14 contient le nom de Bellérophon (Bellerofîn), sous sa forme classique bien connue. En réalité, le texte latin donne Bellerophron (Bellerofrîn). À première vue, on pourrait croire à une faute d’impression dans l’original, mais il est probable qu’Alciat fasse allusion à la frÒnhsij, la «prudence» (prudentia) dont le héros est ici censé incarner le type. - La lettre delphique (Delphica littera), citée dans l’Emblème 187, serait une allusion, suggère la note, à la célèbre formule delphique «Connais-toi toi-même». L’explication n’est pas claire, et il aurait été plus utile, croyons-nous, de renvoyer à l’ouvrage de Plutarque, Sur l’E de Delphes. Concluons en citant quelques Emblèmes de cette belle édition que nous recommandons chaleureusement aux amateurs de belles lettres :
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NON À TOI, MAIS À LA RELIGION
Un baudet à pas lents portait une statue
D’Isis, sous les mystères saints courbant l’échine.
Chacun sur son chemin adore la Déesse,
Lui adresse à genoux de dévotes prières.
L’âne pense que tout cet honneur est pour lui,
Le voilà qui se gonfle, empli d’orgueil, jusqu’à ce
Que son maître, d’un coup de fouet, le calme, et dise :
«Ce n’est point toi le dieu, tu n’es que sa monture». (Emblème 7)
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FOL AMOUR DE SOI
Pour t’avoir trop charmé, Narcisse, ta beauté
Fut transformée en fleur connue pour sa langueur.
L’amour-propre, cette fatale léthargie
De l’esprit, a perdu et perd plus d’un savant
Qui hors la tradition (veterum abiecta methodo) traque des voies nouvelles
Et ne livre jamais que ses propres chimères. (Emblème 69)
PUISSANCE DE LA NATURE
Le monde adore Pan (entendez la Nature),
Un dieu à demi-homme, un homme à demi-bouc :
Humain jusqu’à la taille, car la vertu innée
A dans le cœur sa source, en la tête son siège ;
Bouc dessous, car Nature aussi nous perpétue
Par le sexe, à l’instar des oiseaux, poissons et autres bêtes.
C’est notre commun lot : le bouc est de luxure
L’indice et de Vénus a tous les attributs.
Les uns placent sagesse au cœur, d’autres au cerveau.
On ne trouve plus bas ni raison ni mesure. (Emblème 97)
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L’ART SECONDE LA NATURE
Fortune sur un globe et sur un cube Hermès
Président, lui aux arts, elle à tous les hasards.
L’art est fait pour parer aux coups de la Fortune ;
Et quand elle est mauvaise, on a recours à l’art.
À l’étude voue-toi, jeunesse studieuse :
Elle seule t’assure contre les coups du sort. (Emblème 98)
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RICHESSE DU TYRAN, MISÈRE DES SUJETS
C’est un mot de César, que la rate est au corps
Ce que le fisc du prince est à la République :
Croissance de la rate anémie tout le corps,
Et croissance du fisc le peuple paupérise. (Emblème 146)
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