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Le désir de Cabale
Rabbi Ashlag
Traduction de Stéphane Feye
« Le désir ardent du salut de Dieu aimante le Seigneur du Ciel jusque dans nos cœurs. »
Le Message Retrouvé, xxxii, 5.
Il y a dix ans, dans le premier numéro du Fil d’Ariane (p. 29), E. d’Hooghvorst présentait avec enthousiasme ce livre magnifique, « aussi utile aux chrétiens qu’aux Juifs » qu’est le Zohar, le Livre de la Splendeur. Depuis lors, les articles traitant de la tradition hébraïque se sont multipliés et le grand public s’est vu faciliter l’accès au trésor juif grâce au travail des maisons d’édition. On ne peut que se féliciter de ce renouveau d’intérêt pour la Cabale, source de vie. Mais combien l’accès en est difficile, même pour ceux qui ont compris qu’il fallait aborder les auteurs dans leur langue originelle ! Après des années d’étude acharnée, on peut en être encore à se poser la question : « de quoi parlent réellement les livres de Cabale ? » Réponse : « de Cabale » ! « Qu’est-ce que la Cabale ? » Réponse : « le don de Dieu reçu en vase pur ». Ce sont des mots, dira-t-on avec raison. Il est pourtant nécessaire de se les rappeler constamment si l’on ne veut pas s’égarer dans le labyrinthe. Le texte qui va suivre (en plusieurs épisodes) est de nature à aider et encourager les chercheurs animés du désir de la Cabale. Il est dû à la plume du Rabbin Ashlag 1. On le trouvera en hébreu dans les premières pages (43 et suiv.) de sa remarquable édition du Zohar 2 Cette préface de Rabbi Ashlag est précieuse. Elle introduit peu à peu les profanes que nous sommes dans le mystère de la création divine, et résume ce qu’il faut savoir avant même que d’étudier. Hélas, son langage n’est pas facile. C’est pourquoi, nous l’avouons, notre traduction sera peu fidèle pour plusieurs raisons : d’abord, n’étant pas spécialiste des idiomes sémitiques, il se peut que le sens véritable de l’original nous ait échappé par endroits. Ensuite, même là où nous croyons avoir compris, nous avons volontairement élagué, résumé, ciselé et arrangé, de manière à rendre le texte abordable ; ceci est une obligation si on veut être lu. Enfin, nous avons remplacé par un ou deux astérisques deux formules qui reviennent continuellement au fil des lignes :
Ces formules, du reste, se trouvent en abrégé dans l’original. * Préface à l’édition du Zohar 1. Notre intention, ici, est d’examiner quelques problèmes qui paraissent simples à première vue, c’est-à-dire auxquels tout le monde touche, mais qui redoublent d’importance dès qu’on tente de les démêler. Malgré tous les efforts qu’on peut faire, on ne parvient pas à les comprendre de manière suffisamment claire. Voici ces questions :
2. Il est tout à fait vain de démêler tout cela ! Commençons nos investigations là où il est permis d’en faire et non pas (à Dieu ne plaise !) dans le lieu interdit, c’est-à-dire dans le sein du Créateur Lui-même*. Là, il n’y a de toutes façons aucune conception saisissable pour nous ; aucune pensée ni même aucun son. Non ! nous devons chercher dans le lieu où l’exploration est un précepte. Ce lieu, ce sont ses œuvres à Lui*. La Torah nous ordonne : « Connais le Dieu de ton père et sers-Le " 3. Comment ? Voyez le cantique de l’Union: « C’est à partir de tes œuvres que nous t’avons reconnu4 ». Voici donc la première recherche à faire : comment imaginer la création comme une chose innovée, entendons par là une première chose qui, en Lui*, n’aurait pas été parfaite avant sa création ? Tout érudit sait, à n’en pas douter, que rien ne pourrait ne pas être parfait en Lui*. C’est le simple bon sens qui le veut ainsi. Sur quelle base pourrait-on établir la moindre chose qui ne serait pas en Lui* ? Deuxième recherche : Vous pourriez me rétorquer qu’Il est tout puissant, et qu’Il est certainement capable de créer quelque chose de rien (iech mi ain), donc une chose nouvelle qui n’avait aucune réalité en Lui*. Bon ! mais dans ce cas se pose la question : quelle est cette chose qui n’aurait aucune place en Lui*, qui aurait été innovée, et sur laquelle Il aurait tout de même autorité ? Troisième recherche : Les cabalistes disent que la Neshamah (âme) de l’homme est une partie du Dieu d’en haut. La seule différence entre Lui* et elle, c’est que Lui* est « tout » tandis que la Neshamah est une « partie ». Ils ont même comparé cela à une pierre extraite d’une montagne : l’une est « tout », l’autre est « une partie ». Mais il y a là de quoi se poser des questions. Admettons pour la pierre ; on la sépare bien de la montagne avec l’outil adéquat, et de ce fait la « partie » a bien été séparée du « tout ». Mais en Lui* comment imaginer une chose pareille ? Comment concevoir qu’Il* se mette à séparer une partie de Lui-même*, au point de sortir de Lui-même, une Neshamah (âme), qu’on ne puisse connaître qu’en tant que partie de Lui-même*5 ? 3. Quatrième recherche : Entre sa Sainteté* et le siège de l’empire du diable et des écorces, la distance est telle que ce sont deux extrêmes opposés. Comment ce siège de l’empire du diable et des écorces peut-il provenir de sa Sainteté* ? Comment peut-il se former à partir d’Elle* ? Comment enfin sa Sainteté* peut-Elle y pourvoir et le faire exister ? Cinquième recherche : Le problème de la résurrection des morts. Le gouf (corps) est une chose si méprisable qu’à peine né il est condamné à la mort et à la tombe. Le Zohar va même jusqu’à dire qu’après la réduction totale de ce gouf en pourriture, la Neshamah (âme) ne pourra pas monter en son lieu dans le jardin d’Éden, tant que demeure le moindre résidu de lui. Bien ! mais s’il en est ainsi, quelle certitude a-t-on qu’il se refasse et se redresse à la résurrection des morts ? Le Saint, béni soit-Il, ne pourrait-Il pas réjouir les Neshamot (âmes) sans lui ? En outre, ce que nos sages* ont écrit est étonnant : d’après eux, lorsque les morts se redresseront, ce sera avec leurs infirmités. Ainsi on ne pourra pas dire : « c’est un autre ». Ce n’est qu’ensuite qu’Il* guérira leurs infirmités. Il faudrait comprendre pourquoi le Saint, Béni soit-Il, y attache tant d’importance. Pour éviter qu’on ne puisse dire « c’est un autre », Il serait donc obligé de refaire et de recréer leurs infirmités avant de les guérir ensuite ? Sixième recherche : Nos maîtres* ont dit que l’homme résumait toute la réalité ; que tous les mondes supérieurs, ce monde corporel-ci, et tout ce qui les remplit n’ont été créés qu’en fonction de l’homme6. Ils ont obligé l’homme à croire que c’est pour lui qu’a été créé le monde7. Pourquoi ? Car à première vue, il est difficile d’admettre que c’est pour ce petit homme qui ne comprend pas la valeur d’environ un cheveu de la réalité de ce monde, et qui, a fortiori, ne comprend rien ou à peu près à tous les mondes supérieurs (qui n’ont, eux, ni fin ni limite à leur puissance), que c’est donc pour ce petit homme-là que le Saint, béni soit-Il, s’est donné la peine de créer tout cela. Oui, pourquoi ? 4. Toutes ces questions et toutes ces recherches sont vaines ! l’unique astuce est de méditer sur la fin de l’œuvre, nous entendons par là le but de la création. Impossible en effet de comprendre quoi que ce soit en plein cours d’ouvrage, mais bien à partir de sa fin. Du reste, il n’existe pas d’ouvrier sans but, c’est évident. Vous ne trouverez personne qui travaille sans but, à moins qu’il ne s’agisse d’un anormal ! Je sais bien pourtant qu’il y a des philosophailleurs qui, secouant le joug de la Torah et des misvot (commandements), prétendent que le Créateur* aurait créé d’abord toute la réalité, et l’aurait ensuite abandonnée à elle-même. Pour eux, vu l’insignifiance des créatures, il ne convient pas au Créateur* de disperser ses forces en surveillant leurs mœurs qui ne sont que petits détails d’ailleurs variables. Sans nul doute, ce n’est pas par science qu’ils disent cela. Il leur serait anormal qu’Il* ait fixé des ordonnances pour sanctionner notre bassesse et notre vilenie. Ce serait plutôt à nous de les fixer, ces normes, puisque nous nous serions faits nous-mêmes, avec tous nos différents défauts. Mais dès l’instant où nous admettons que le Créateur* qui accomplit tout parfaitement, dirige son œuvre et restaurera nos corps avec toutes leurs bonnes qualités et leurs différences, alors de la main de cet ouvrier parfait, il ne sortira jamais d’œuvre vile et méprisable, et toute l’œuvre prouvera la qualité de son ouvrier. En quoi un mauvais vêtement serait-il coupable, si c’est le tailleur qui n’a pas été capable d’en réussir la couture ? Voyez par exemple le traité taanit (jeûne), 20 : On y raconte que Rabbi Eliezer et Rabbi Siméon marchaient ensemble lorsque s’approcha d’eux un homme horriblement laid, etc. Rabbi Eliezer glissa à Rabbi Siméon : « ce que cet homme est laid ! » Le personnage en question l’avait entendu. Il rétorqua derechef : « va plutôt dire à l’artisan qui m’a fait : combien est laid le vêtement que tu as fabriqué ! » etc. Voyez ce passage. Voilà ce qu’ils disent, nos philosophailleurs : qu’à cause de notre bassesse et de notre nullité, il ne Lui* convient pas de nous surveiller ; qu’Il nous a abandonnés ! Des gens pareils ne prêchent rien d’autre que leur seule ignorance. Imaginez un peu : si vous rencontriez quelqu’un qui se mettait à créer des êtres qui ne feraient que se tourmenter et se punir eux-mêmes continuellement, comme nous le faisons chaque jour de notre vie, et que ce quelqu’un les dédaignait sans même vouloir ne fût-ce que les surveiller pour les aider un peu, rendez-vous compte, combien vous le blâmeriez et à quel point vous le mépriseriez ! Peut-on raisonnablement concevoir une chose pareille à propos de l’Être Absolu** ? 5. C’est pourquoi le bon sens veut que nous connaissions le contraire de ce qui apparaît à la surface ; que nous admettions qu’en vérité nous sommes des créatures bonnes et tellement sublimes que notre importance est illimitée, c’est-à-dire que nous sommes réellement comme il convient, par rapport au Maître d’œuvre qui nous a faits. En effet, la moindre critique que vous formuleriez à propos d’un défaut de nos corps, quel qu’en soit le prétexte, retombe sur le Créateur* qui nous a créés avec toutes nos caractéristiques. C’est uniquement sur Lui que cela retombe puisqu’il est clair que c’est Lui qui nous a faits et non nous-mêmes ; aussi connaissait-Il toutes les conséquences qui résulteraient de tous ces caractères et tendances mauvaises qu’Il avait implantés en nous. Nous l’avons dit : c’est sur la fin de l’œuvre que nous devons méditer. Ce n’est qu’alors que nous pourrons connaître le tout. Il y a d’ailleurs un proverbe qui dit : « tant qu’une chose est en cours de réalisation, ne la considère pas comme insensée ». 6. Nos maîtres* nous l’ont déjà enseigné8, Le Saint, béni soit-Il, n’a créé le monde que pour procurer du plaisir à ses créatures. C’est vers cela que nous devons tourner les yeux et appliquer toutes nos pensées, car c’est cela le but de la pensée et de l’œuvre de la création du monde. Ici, il faut bien faire attention : pour réaliser son projet de réjouir ce qu’il avait créé, Il était obligé de créer dans les Neshamot (âmes) un désir d’une dimension extraordinairement grande. Quel désir ? Celui de recevoir (cabal) ce qu’il projetait de leur donner. En effet, tout plaisir, toute jouissance, ne s’évalue que grâce à une mesure. Cette mesure est celle du désir de recevoir ce plaisir. Plus grand est le désir de recevoir, plus grande est la jouissance. Inversement, plus le désir diminue, plus la jouissance diminue lorsqu’on reçoit. C’est une question de proportion. Voilà pourquoi le projet lui-même de la création consistait forcément à créer dans les Neshamot (âmes) un désir de recevoir (cabal) d’une proportion immense, qui fût conforme à la mesure de l’immense jouissance dont le Tout-Puissant comptait réjouir les Neshamot (âmes). Car la grande jouissance et le grand désir de recevoir montent dans un seul tuyau (= ont la même mesure). 7. Une fois que nous savons cela, nous comprenons déjà totalement et clairement l’objet de notre deuxième recherche. Quelle est, disions-nous, cette réalité dont on peut affirmer qu’elle n’existe pas, qu’elle n’est pas incluse en Lui*, si bien qu’on peut dire qu’elle est une création innovée, un quelque chose (iech) provenant de rien (ain) ? Maintenant, nous savons que le projet de la création (réjouir ses créatures) se devait de créer une mesure de désir (de recevoir de Lui* toute la jouissance et le bien qu’il projetait pour elles). Maintenant donc, il devient évident que ce désir ne pouvait être un principe inclus en Lui* avant de le créer. En effet, si cela avait été le cas, par qui pourrait-il être comblé (cabal) ? Il a donc créé de toute pièce une chose nouvelle, qui ne se trouvait pas en Lui*. Il s’ensuit forcément, et c’est conforme au projet de la création, qu’Il* n’avait rien d’autre à créer que cela, rien de plus que ce désir de cabale. Absolument rien de plus ; car cette création, cette innovation, Lui* suffisait déjà pour réaliser à elle seule tout son projet, à savoir : nous réjouir. Quant à l’accomplissement total du projet, je veux dire toutes les sortes de biens qu’Il projetait pour nous, Il* n’a pas à les créer de nouveau ; tout cela se tire en droite ligne d’un prolongement de Lui-même*. C’est déjà un quelque chose provenant de quelque chose (iech mi iech) pour combler ce grand désir de recevoir (cabal) des Neshamot (âmes). Ainsi, tout s’éclaire : toute la matière de cette création « innovée », du début jusqu’à la fin, n’est que le désir de recevoir (cabal). 8. Cela nous amène finalement à élucider notre question 3 : l’opinion des Cabalistes qui nous étonnait. Rappelons-la brièvement : les Neshamot (âmes) sont une partie du Dieu d’en haut comme une pierre est une partie de la montagne. La seule différence entre les deux est que l’une est « partie » et l’autre « tout ». Ce qui nous surprenait, ce n’est pas qu’un outil séparât une pierre d’une montagne, mais qu’on pût s’exprimer de la même façon pour Lui* et les Neshamot. Car si les Neshamot (âmes) sont séparées de Lui* et si elles sortent du principe du Créateur pour être créées, quel est l’agent qui a réalisé cette séparation ? Il faut éclaircir le sens de cette comparaison : Ce qu’un outil fait lorsqu’il tranche et sépare une chose matérielle en deux, une différence de similitude dans la forme le fait pour une chose spirituelle (rouahni) : elle fait une distinction, donc elle en fait deux parties. Prenons un exemple : deux personnes s’aiment ; vous direz d’elles qu’elles sont attachées l’une à l’autre, qu’elles ne font qu’un seul corps. Inversément, si elles se haïssent, vous direz qu’elles sont aussi distantes l’une de l’autre que l’Orient et l’Occident. Il ne s’agit plus ici de proximité ou d’éloignement dans l’espace, car c’est une comparaison. Cette distance ou cette proximité est basée sur la ressemblance ou la non-ressemblance. Si quelqu’un et son prochain sont identiques, tout ce que l’un aime, l’autre l’aimera et vice-versa. On pourrait dire qu’ils s’aiment effectivement l’un l’autre ou qu’ils sont comme fusionnés l’un à l’autre. Mais s’il y a entre eux quoi que ce soit comme différence, par exemple que l’un aime une chose malgré que son ami la déteste, ils semblent sur ce plan-là, sinon se haïr, du moins se distancer l’un de l’autre en proportion de cette différence. À plus forte raison, s’ils sont totalement dissemblables, si tout ce que l’un hait, l’autre l’aime, on dira qu’ils sont aussi éloignés l’un de l’autre que l’Orient ne l’est de l’Occident ; autrement dit, deux extrêmes, deux opposés. 9. Donc, dans des choses spirituelles, vous pouvez trouver un facteur de différence comparable à un outil qui tranche des choses matérielles. D’un côté on mesure une distance, de l’autre on mesure une différence de forme. Eh bien, ce désir de recevoir (cabal) qui fut imprimé dans les Neshamot (âmes), ce désir dont nous avons montré clairement que sa forme ne pouvait pas se trouver dans le Créateur*, sous peine de ne jamais pouvoir être comblé, c’est ce désir qui a été l’agent de séparation. La différence de forme qu’il a produite dans les Neshamot les a séparées, distinguées de Lui*, comme l’outil sépare la pierre de la montagne. tant et si bien que c’est par cette différence que les Neshamot sont sorties de la « totalité » du Créateur, qu’elles se sont distinguées de Lui pour être créées. Mais tout ce que les Neshamot reçoivent de Sa* lumière provient de Lui-même* (iech mi iech). Elles le reçoivent à l’intérieur de leur vase, qui est ce désir de recevoir9. et pourtant, l’expérience de Sa* lumière supprime toute différence entre elles et Lui*. Cependant, il y en a une : c’est qu’elles deviennent une « partie » de Lui*. Précisons : la portion de lumière qu’elles reçoivent dans leur vase (le désir de recevoir) est dès ce moment une partie distincte de Dieu (Elohim) puisqu’elle se moule à l’intérieur de cette différence de forme que ce désir a produite. C’est donc cette différence de forme qui transforme cette lumière en « portion » de lumière. Ainsi les Neshamot (âmes) sortent de l’expérience « tout » pour devenir « partie » comme une pierre détachée d’une montagne. Remarquez bien qu’on ne peut s’étendre plus sur un sujet aussi sublime que celui-ci ! 10. Et maintenant s’ouvre pour nous la porte de la quatrième recherche : le siège de l’impureté et des écorces. Aussi éloigné de sa Sainteté* qu’un bout du monde ne l’est de l’autre, comment peut-il En* provenir ? Comment sa Sainteté peut-Elle y pourvoir et le faire exister ? Il faut d’abord se demander quelle est la nature de cette impureté. Que sont ces écorces (peaux, enveloppes) ? Sachez donc que ce grand désir de recevoir (cabal) qui fait l’essence même des Neshamot du fait de leur création, ce grand désir qui leur permet de recevoir tout l’accomplissement prévu par le projet de la création, eh bien sachez que ce grand désir ne reste pas dans cet état, car si c’était le cas, les Neshamot seraient condamnées à rester constamment isolées de Lui*, à cause de l’écart de forme. Donc pour y pallier, Il* créa tous les mondes et les distingua en deux catégories. C’est le secret du verset : « Dieu les fit l’un en face de l’autre »10. Il s’agit des quatre mondes : émanation, création, formation, action (dans la sainteté) auxquels correspondent en face quatre autre mondes (émanation, création, formation, action) dans l’impureté. Dans la première série, Il* a imprimé le désir de combler. Quant au fameux désir de recevoir dont nous avons tant parlé, Il* l’a ôté de là11 et l’a placé dans l’autre série de quatre mondes (la série de l’impureté). Ceux-ci de ce fait, se sont trouvés séparés du Créateur* et de tous les mondes de pureté. Voilà pourquoi les écorces reçoivent le surnom de « morts » comme il est écrit dans le Psaume 106, 28 : « sacrifices des morts ». Cela attire les méchants, comme le disent nos sages* : « les méchants, pendant leur vie, sont appelés morts». En effet, le désir de recevoir, imprimé en eux et opposant leur forme à sa Sainteté*, les a séparés de la substance vivante de la vie. Ils sont devenus une opposition totale à Lui*. Car pour Lui*, la question n’est pas de recevoir mais de combler, tandis que pour les écorces, c’est l’inverse : il n’est pas question de combler mais uniquement de recevoir pour elles-mêmes, pour jouir. Jusqu’ici, l’opposition n’est pas encore si grande, mais on sait déjà que la distanciation spirituelle n’est, au début, qu’une légère différence de forme qui aboutit cependant à une opposition totale de forme, à la fin, dans l’étage suivant. 11. C’est ainsi que les mondes s’enchaînent jusqu’à la réalité de ce monde-ci qui est matériel, c’est-à-dire un lieu où se trouvera une réalité de gouf et Neshamah (corps et âme). De même, il y a un temps de putréfaction et de restauration. Le gouf (corps), c’est le désir de recevoir qui provient de la racine. Cette racine était dans le projet de la création, nous l’avons dit. Il passe dans la série des mondes d’impureté. C’est ce qui est écrit : « et un ânon, âne sauvage, un homme deviendra »12. Il y demeure soumis jusqu’à treize ans, et c’est le moment de la putréfaction. Grâce au commerce des misvot (commandements) pendant treize ans et au-delà, au cours desquels il s’occupe d’infuser le contentement d’esprit à son créateur (littér. son potier), il commence à purifier ce désir imprimé en lui. Celui-ci se transforme ainsi peu à peu, lentement, afin de «combler ». Il en provient un Nephesh (esprit) saint, de sa racine contenue dans le projet de la création, et ce Nephesh franchit alors la série des mondes de sainteté pour se revêtir d’un gouf (corps). C’est alors le temps de la restauration. Il croît et est à même d’acquérir et d’atteindre les degrés de Sainteté prévus par le projet de l’Ain sof (Sans Limite)*. Donc, ces degrés aident l’homme à métamorphoser son désir de recevoir. Celui-ci devient totalement apte à la réception, ce qui lui permet de «combler » et de contenter l’esprit de son créateur. Ce n’est donc pas du tout pour son avantage personnel. Par ce processus, l’homme acquiert l’adéquation de sa forme à son créateur. La Cabale, lorsqu’on en est comblé, est considérée comme une forme qui comble de pureté à son tour. Nous en avons un exemple dans le traité Qedouchim p. 7 : Un notable, à qui elle avait été donnée, se disait : « c’est une jeune fille consacrée (mariée solennellement) ». Sa cabale, en effet, ne consistait qu’à procurer du plaisir à qui la lui avait donnée. Il la considérait comme une faveur, un don total, une protégée d’Élie. Notez bien ce passage. Ce n’est qu’à ce moment que l’homme s’attache à Lui* totalement, car la fusion spirituelle n’est rien d’autre que l’identification de forme. C’est ce qu’ont dit nos sages* : « Comment peut-on s’attacher à Lui*, si ce n’est en s’attachant à ses mesures (vertus) » Voilà donc comment l’homme devient à même de recevoir tout le bien, les délices et la tendresse qui se trouvent dans le projet de la création. 12. Et voilà que s’éclaire correctement le problème de la restauration du désir de recevoir imprimé dans les Neshamot lors du projet de la création. Le Créateur* a établi, l’un en face de l’autre, les deux rangs dont nous avons parlé et par lesquels passent les Neshamot. Elles s’y répartissent en deux plans : Gouf (corps) et Nephesh (esprit) dont l’un se revêt de l’autre. Grâce à la Torah et aux Misvot (commandements), ces deux retournent à leur fin en métamorphosant le désir de recevoir. Celui-ci devient désir de combler. Ainsi, ces deux (Gouf et Nephesh) deviennent aptes à recevoir tout le bien issu du projet de la création. Ils deviennent par là assez purs pour mériter de se fixer solidement à Lui*. En effet, le labeur de la Torah et des Misvot les purifie, et leur forme s’identifie à leur Créateur. Cela, c’est l’expérience de la perfection de la restauration. Dès lors, puisque l’empire du diable (le siège de l’impureté) ne sera plus nécessaire, il se séparera de la terre, et la mort périra pour toujours. En somme, tout le labeur à accomplir dans la Torah et les Misvot a été donné au principe du monde pour la durée des deux mille ans du monde actuel, et plus particulièrement pour les septante ans de la vie de l’homme. Et son seul but est de le mener à la complète restauration de l’identification de la forme susdite. On comprend mieux, dès lors, l’origine du rang des écorces et de l’impureté, comment il s’est formé, et comment il est sorti de sa Sainteté*. Cela devait se faire ainsi, pour que les Goufim (corps) soient créés, et qu’ils soient ensuite rétablis par la Torah et les Misvot. Car, si le Gouf (corps) n’était pas fourni par le désir de recevoir qui est en lui, et si ce Gouf n’était pas corrompu par le rang de l’impureté, il ne nous serait jamais possible de le restaurer. Personne ne peut restaurer ce qu’il n’a pas en lui ! 13. Mais il reste finalement un point obscur à comprendre : ce désir lui-même de recevoir, qui est si corrompu, comment vient-il à l’être par le projet de la création à l’intérieur de l’Ain Sof (Sans Limite) Lui-même* ? L’unité de cet Ain Sof ne s’exprimant par aucun son ni aucune parole, il est difficile de le comprendre. La réponse est qu’en réalité, ce désir a succédé immédiatement au projet de la création des Neshamot. Son* projet a tout accompli, sans avoir besoin d’outil d’œuvre comme nous. Immédiatement ont pris naissance toutes les Neshamot (âmes) et tous les mondes prêts à être créés, remplis de tout le bien, la jouissance et la tendresse qu’Il* imaginait pour elles. Les Neshamot possédaient tout l’achèvement de la perfection ultime qu’elles doivent recevoir au terme de la restauration, c’est-à-dire lorsque leur désir de recevoir aura déjà reçu son total redressement. Si ce désir se transforme, c’est donc pour devenir une abondance pure, semblable à Celui qui en est l’origine*. Notons cependant, et il faut le souligner, que dans Son* éternité, le passé, le futur et le présent ne font qu’un. Il* ressent le futur comme un présent. Toute chose a donc un destin qui conduit à Lui*13. Vu ces considérations, du point de vue de l’Ain Sof*, on ne peut pas parler d’un désir de recevoir corrompu, mais d’un moyen pour atteindre un but ; ce but, c’est que la forme séparée de Lui* se réidentifie totalement à Lui et qu’elle brille immédiatement dans Son* éternité. C’est de ce secret qu’ont parlé nos sages* dans les Pirké de Rabbi Eliezer : « Avant que ne fût créé le monde, Il était et son nom est Un ».14 Car cette forme séparée, ce désir de recevoir, ne se manifestait pas du tout dans les Neshamot sortant du projet de la création. Les Neshamot étaient fusionnées à Lui* par une identification de forme. C’est cela le secret : « Et son nom est Un. »15 * 1 Nous ne savons presque rien de Rabbi Juda Levi Ashlag : père de famille nombreuse, il avait été gardien de Synagogue à Meah Shearim, le quartier réservé aux Talmudistes, Cabalistes et Hassidim de Jérusalem.
À sa mort, il y a un demi-siècle, on découvrit une œuvre extraordinaire qu’il menait discrètement et principalement sa monumentale traduction glosée du Zohar.
2 Ashlag, Zohar, texte araméen et traduction glosée en hébreu. éd. Hamassorah – Meah Shearim – Jérusalem. cf. La revue, Le Fil d’Ariane n° 1 p. 30.
3 I Chroniques XXVIII, 9.
4 Le Cantique de l’Union : poème liturgique de louanges à l’Éternel composé de 7 poésies pour chacun des 7 jours de la semaine. Cf. Dictionnaire El Maleh : article ריש.
5 Sur ce sujet, cf. : Louis Cattiaux, Le Message Retrouvé éd. Les Amis de Louis Cattiaux,
Paris 1991, xix, 19’ : « car les âmes demeurent distinctes même dans le sein de l’Unique ».
6 Zohar, Vayikra, 48.
7 Zohar, Sanhedrin, 37.
8 cfr. Etz hayim, chaar hakelim, début du chap. 1.
9 On a vu que ce désir de recevoir était une mesure, au vrai sens du terme, donc un récipient, un vase.
10 Genèse III, 22.
11 Ici, le texte donne une référence : « voir plus loin – introduction à la sagesse de la Cabale – 14 à 19 – voir Atiqa qedicha. »
12 Job, 11, 12. Crampon traduit : « l’ânon devient un franc onagre ». L’ancienne édition Crampon disait : « et le petit de l’onagre deviendrait raisonnable. » En consultant La Vulgate et La Septante, on remarque que le sens de ce verset est loin d’être clair.
13 Cf. Zohar Michepatim 51 – Zohar Hadash p. 3, 10 à 12.
14 Pirqé de Rabbi Eliézer, Collection « Les dix Paroles », éd. Verdier, 11220 Lagrasse, 1983.
15 Cfr. Talmud Acher Sephirot, premier chapitre.
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