Écrit par : Henri-Corneille Agrippa
Titre : La Philosophie occulte ou la magie
Date de parution : 1981
Éditeur : Éditions Traditionnelles
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Agrippa, Henri-Corneille, La Philosophie occulte ou la magie, tome 1, Paris, Éditions Traditionnelles, 1981. Rares sont les thèmes qu’Henri-Corneille Agrippa n’a pas abordés. De la magie à la médecine, de l’astrologie à l’alchimie, l’humaniste du XVe siècle présente dans sa Philosophie Occulte des enseignements issus tant de la cabale juive que des anciens Chaldéens, Grecs et Latins, des théologiens chrétiens ou des savants arabes. Et pourtant, ne nous y trompons pas : sous ces couverts hétéroclites, Agrippa ne nous parle que d’une seule vérité. Il conclut en effet son ouvrage par l’injonction suivante : « Que personne ne se fâche contre nous si nous avons caché la vérité de cette science sous l’ambigüité des énigmes, et si nous l’avons dispersée en plusieurs endroits de cet ouvrage ; car nous ne l’avons pas cachée aux sages, mais aux esprits pervers et malhonnêtes, et nous l’avons transmise d’un tel style qu’il faut de nécessité que le fol n’y entende rien, et qu’elle parvienne facilement à l’intellect de l’autre. » Le premier tome est consacré à la Magie Naturelle. Après avoir défini la Magie, Agrippa y décrit l’univers selon une conception parfois étonnante, mais toujours cohérente, et qui rend possible le phénomène magique. Il y aborde des sujets tels que les quatre Éléments, les Vertus occultes des choses, l’Esprit du monde, la Sympathie, l’influence des Planètes et les façons de l’attirer, les Poisons, les Fumigations, la Divination, les Incantations, etc. S’il aborde de nombreux sujets magiques et occultes, Agrippa met bien son lecteur en garde : « quiconque s’approchera sans être purifié, attirera sur lui la condamnation, et sera livré pour être dévoré au malin esprit » et ailleurs « quiconque, sans l’autorité de l’office, sans le mérite de la sainteté et de la doctrine, sans la dignité de la nature et de l’éducation, présumera quelque chose en matière de magie, travaillera en vain et se trompera lui et ses adhérents, et encourra l’indignation des divinités au hasard d'y périr ». Ne nous arrêtons donc pas au sens premier de ce que l’on pourrait sinon considérer comme des superstitions. Nous proposons ici au lecteur quelques perles glanées au cours de la lecture : « Il est donc constant qu’il y a dans les choses des propriétés occultes, qui ne viennent point de la nature élémentaire ni des influences célestes, qui sont inconnues à nos sens et que notre raison a de la peine à comprendre, lesquelles proviennent de la vie et de l’esprit du monde par les rayons même des étoiles, et lesquelles nous ne saurions connaître que par l’expérience et par les conjectures ; c’est pourquoi, vous qui souhaitez vous attacher à cette étude, vous devez considérer que toutes les choses se meuvent, et se convertissent en leurs Semblables, et penchent vers elles-mêmes de toutes leurs forces, tant en propriété, savoir en vertu occulte, qu’en qualité, c’est-à-dire en vertu élémentaire, et quelquefois en substance, comme l’on voit dans le sel, que tout ce qui est longtemps dans du sel devient sel, car tout corps qui agit, dès qu’il a commencé à agir, il ne se change point en corps inférieur, mais d’une certaine manière et autant qu’il se peut en son semblable et celui qui a du rapport avec lui, ce que nous voyons aussi manifestement dans les animaux sensitifs, dans lesquels la vertu nutritive ne change point la viande ou les aliments en herbe ou en quelque plante, mais qu’elle les transforme en chair sensible. Ainsi dans les choses où il y a excès de qualité ou de propriété, comme la chaleur, le froid, la hardiesse, la crainte, la tristesse, la colère, l’amour, la haine et toute autre sorte de passion, ou quelque vertu, soit qu’elle se trouve naturellement en elles, soit qu’elles se la soient donnée par artifice, ou qu’elle leur soit venue par quelque hasard, accident ou habitude, comme la hardiesse dans une libertine, ces choses excitent beaucoup à une telle qualité, passion et vertu ; ainsi le feu excite au feu, l’eau à l’eau, et une personne hardie à la hardiesse. » (p. 41-42) « […] ainsi plusieurs choses ont diverses vertus qui sont répandues différemment en différentes parties, comme elles leur sont infuses d’en haut suivant la différence des sujets qui reçoivent, comme dans le corps humain les os ne reçoivent que la vie, les yeux la vue, et les oreilles l’ouïe. Il y a dans le corps humain un os très petit, que les Hébreux appellent Louz, de la grosseur d’un petit pois, qui n’est sujet à aucune rupture, et qui ne craint point le feu ou n’en peut être consumé ; mais qui se conserve toujours entier, duquel, comme l’on dit, notre corps animal renaîtra à la résurrection des morts, comme une plante de sa semence. Et ces vertus ne se connaissent que par l’expérience. » (p. 57) « Il faut donc savoir quelles sont les matières commencées, ou parfaites par la nature ou par l’art, ou composées de plusieurs, qui sont capables de recevoir les influences célestes ; car le rapport ou la convenance des choses naturelles avec les célestes suffit pour que nous attirions leurs influences, parce que comme rien n’empêche que les corps célestes ne répandent leur lumière sur les inférieurs, ils ne permettent pas qu’aucune matière ne soit susceptible de leur vertu. C’est pourquoi tout ce qu’il y a de parfait et de pur n’est point incapable de recevoir les influences célestes. Car il y a une telle liaison et connexité de la matière avec l’âme du monde, qui influe journellement sur les choses naturelles et sur tout ce que la nature a préparé, qu’il est impossible que la matière préparée ne reçoive pas une vie ou une forme plus noble. » (p. 93) « Ainsi la terre convient avec l’eau par sa froideur, l’eau avec l’air par son humeur, l’air avec le feu par sa chaleur ; le feu convient avec le ciel par sa matière ; et le feu ne se mêle point avec l’eau que par l’air, ni l’air avec la terre que par l’eau. Ainsi l’âme n’est point mêlée avec le corps que par l’esprit, et l’entendement avec l’esprit que par l’âme. C’est ce qui fait que nous voyons que la nature en donnant la forme au fœtus, par cette préparation tire l’esprit de l’univers, et c’est cet esprit qui entretient l’esprit et le corps avec l’intelligence et le dispose à acquérir l’entendement, comme dans le bois la sécheresse est pour la pénétration de l’huile, et quand cette huile s’y est imbibée, c’est la nourriture pour le feu : le feu est le chariot ou porteur de lumière. » (p. 95) « La divinité se lie à l’esprit ; l’esprit à l’entendement, celui-ci à l’intention, celle-ci à l’imagination, celle-ci à la sensation, celle-ci aux sens, ceux-ci aux choses. Car il y a une telle liaison et continuité de la nature que toute vertu supérieure en répandant ses rayons, par une suite congrue et continue, sur toutes les choses inférieures, coule jusqu’aux dernières et aux extrémités, ou pénètre partout ; de sorte que les choses inférieures parviennent mutuellement aux supérieures. Ainsi les choses inférieures ont une liaison avec les supérieures, que les influences qui proviennent de leur chef, comme la première cause, vont comme par une corde tendue jusqu’aux dernières extrémités, et pénètrent tout au fond ; dont si on touche une extrémité, elle frémit toute, de sorte que cet attouchement retentit ou résonne à l’autre, et qu’une chose inférieure étant émue, la supérieure s’émeut aussi, à qui elle répond, comme les cordes d’une guitare qui s’accorde bien. » (p. 96) « Car il y a dans toutes choses des oracles cachés qui prédisent les choses qui doivent arriver, et surtout dans les oiseaux d’augure ; ce sont ceux-là dans lesquels les Poètes racontent que des hommes ont été transformés. » (p. 140-141) « Ils disent donc que l’âme étant poussée par l’humeur mélancholique, rien ne l’arrête, et qu’ayant rompu la bride et les liens des membres et du corps, elle est toute transportée en imagination, et devient ainsi la demeure des daïmons inférieurs […]. Et lorsqu’une âme est toute raisonnable, elle devient la demeure des esprits moyens ou de l’air, et c’est ainsi qu’elle acquiert la connaissance et les sciences des choses naturelles et humaines, et la sagesse […]. Mais lorsque l’âme se réveille toute en esprit et en pensée, devenant ainsi la demeure des esprits sublimes ou supérieurs, elle apprend d’eux les secrets des choses divines, savoir, la loi de dieu, les ordres des anges, et ce qui regarde la connaissance des choses éternelles et le salut des âmes. » (p. 170-171) « Il y a aussi certaines prédictions qui sont entre la divination naturelle et la surnaturelle, comme dans ceux qui, étant près de mourir et accablés de vieillesse, prévoient bien des fois ce qui doit arriver, parce que, comme dit Platon dans sa République, ceux dont les sens sont moins violents entendent mieux et pénètrent plus les choses, et étant plus près du lieu où ils doivent aller, et leurs liens étant déjà comme relâchés, et n’étant plus si sujets aux corps, ils reçoivent plus facilement les lumières des révélations divines. » (p. 172) « Car notre esprit opère bien des choses par la Foi, qui est un ferme attachement, une intention fixe, et une forte application de celui qui opère ou qui reçoit en toutes choses, à celui qui coopère et qui donne la force à ce que nous avons dessein de faire, de sorte qu’il se fasse en nous un certain idole de la force à attirer et de ce que nous avons à recevoir ou à faire. Il faut donc être ferme dans toutes nos opérations, et appliqué aux choses, imaginer, espérer, et avoir une grande foi, car cela aide beaucoup ; et l’on a vérifié chez les médecins qu’une ferme crédulité, une espérance certaine, et l’amour pour le médecin et le remède contribuent beaucoup pour la santé, et quelquefois même plus que le remède ; car outre ce que fait la vertu et la force efficace du remède, la force de l’esprit du médecin agit pouvant changer les qualités du corps du malade, qui, surtout quand il a confiance au médecin, se dispose d’autant plus à recevoir la vertu du médecin et du remède. Il faut donc, pour opérer dans la Magie, avoir une foi constante, de la confiance, et ne douter nullement de réussir, et ne point hésiter ou avoir aucun scrupule d’esprit. Car comme une foi ferme et constante fait des effets merveilleux même dans les opérations fausses, de même la méfiance et le scrupule de l’esprit de l’opérateur qui tient le milieu entre les deux extrémités, le dissipe et le détourne, d’où il arrive qu’on se frustre, et qu’on perd l’influence qu’on a souhaitée des corps célestes, qui, sans une vertu solide et constante de notre âme ne peut se joindre ni s’unir aux choses et aux opérations. » (p. 190) « C’est ce qui fait dire aux magiciens que les noms propres des choses sont certains rayons que l’on trouve présents partout, qui gardent leur force autant que l’essence de la chose domine en elles et qu’elle se discerne ; et ils font reconnaître les choses comme par de propres et vives images. Car comme le souverain auteur produit par les influences des cieux et par les éléments avec les vertus des planètes diverses espèces et des choses particulières ; ainsi les noms propres des choses résultant des propriétés de leurs influences et des corps qui leur influent leur sont donnés par celui qui compte le nombre des étoiles, leur donnant à chacune leurs noms, desquels le Christ dit ailleurs : vos noms sont écrits dans les cieux. C’est pourquoi le protoplaste, connaissant les influences des corps célestes et les propriétés de chacun, a donné aux choses leurs noms suivant ce qu’elles sont, comme il est écrit dans la Genèse : Il a fait paraître toutes choses devant Adam, pour leur donner leurs noms ; et comme il appela chaque chose, le nom lui en est demeuré, lesquels noms contiennent en soi les forces merveilleuses des choses. C’est pourquoi toute voix significative signifie d’abord par une influence d’harmonie céleste, ensuite par l’imposition de l’homme, quoique souvent cela soit autrement par celui-ci et par celle-là ; mais quand les deux significations se rencontrent dans quelque voix ou quelque nom, lesquelles sont imposées par l’harmonie et par les hommes, pour lors ce nom se rend très efficace à agir, ayant une double vertu, savoir la naturelle et la volontaire, toutes les fois qu’il est prononcé sur une matière préparés en temps et lieux convenables, avec la cérémonie et l’intention requises et d’une nature qui lui convienne. » (p. 197-198) « Il y a donc vingt-deux lettres qui sont le fondement du monde et de toutes les créatures qu’il contient, et qui sont nommées en lui ; tout ce qui a été dit et créé en vient, et tout prend son nom et sa vertu de leurs révolutions. Il faut donc pour les trouver examiner si bien toutes les combinaisons de ces lettres, que la voix de dieu paraisse et se fasse entendre, et que l’on découvre le texte des Saintes Écritures. C’est ce qui rend efficaces les voix et les paroles dans les opérations magiques, parce que la première chose en quoi la nature exerce la Magie c’est la voix de dieu. Mais ceci est d’une spéculation trop profonde pour qu’on en puisse parler dans ce livre. » (p. 207) |